par Jean-Marc CHEVAT (1982)
Cette rubrique est une retranscription de l’ouvrage « Chronique Brindasienne », édité en 1982 par l’association du Vieux Brindas. Certaines des recherches proposées ici ont pu faire l’objet d’une mise-à-jour par des travaux plus récents. N’hésitez pas à compléter votre lecture par d’autres articles sur le site du Vieux Brindas.
Brindas est en pleine mutation. Des voies se créent, des maisons sortent du sol, de nouveaux équipements sont mis en service.
Ces transformations entraînent de nouveaux courants d’échanges. De nouvelles voies sont tracées, mais il est remarquable que les deux plus petites ruelles de notre Vieux Bourg, restent, paradoxalement, les « artères » les plus anciennes et les plus fréquentées.
Si la « ruette de l’obéance » très ancienne, a permis durant des siècles de relier le château aux masures de l’extérieur, en direction des « places » (c’est-à-dire des champs de marchés et de foires), la ruelle du Vingtain dans son tracé actuel peut être qualifiée de récente, puisqu’elle ne devint passage il y a un siècle à peine.
Pourtant quels souvenirs s’attachent à cette impasse, devenue ruelle, qui a connu tant et tant d’anecdotes, de vicissitudes et d’histoires…
La ruelle du Vingtain relie aujourd’hui la Place de Brindas (Place de Verdun) à la Place de la Paix en longeant l’église au couchant, c’est à dire à l’Ouest. Bien que de petites dimensions, (30 m de longueur sur 1,5 m de large) on arrive quand même à la diviser en deux parties, séparées par une placette de 4m2 !
Notre ruette, bien sûr, vit à l’heure du Château et de l’Eglise, et l’on peut distinguer quatre périodes qui, en jalonnant l’Histoire de Brindas, jalonnent aussi la sienne.
Le Château de Brindas est très ancien. Déjà, en 1299 il est particulièrement endommagé au point qu’une redevance de 20 livres Viennois est collectée pour sa restauration, comme l’atteste l’abbé Berdriel dans son ouvrage sur la Baronnie de Rochefort.
À l’intérieur du Château, la chapelle est à l’origine de notre future Eglise Romane, remarquable par son clocher, et probablement orientée à l’Est, et maintes fois remaniée au cours des siècles (Abbé Chataigner « L’église de Brindas, l’Araire, n° 40, Avril 81°).
L’ensemble du Château était entouré d’un mur d’enceinte, mur de protection derrière lequel les paysans de Brindas venaient chercher refuge auprès du Seigneur, moyennant le versement d’une redevance appelée Vingtain et correspondant au vingtième des revenus. Ce terme de Vingtain, désignant à l’origine un impôt, est attribué ensuite au lieu de paiement et, par extension au mur de protection : le mur du Vingtain.
La période médiévale passée, avec ses rapines et ses brigandages, Brindas prend de l’extension et quelques maisons s’établissent « extra muras ».
Un acte notarié daté du 15 novembre 1612 nous apprend que des masures étaient appuyées « à la muraille du Vingtain du Château » (voir G.B. Bulletin du Club).
L’auteur A. Salomon assure que le Château de Brindas a été reconstruit en entier dans la seconde moitié du XVIe siècle par son Seigneur Mansionnaire Claude de Talaru Chalmazel, dont on peut de nos jours remarquer les armoiries sous la voute de l’escalier situé à l’Est ~Château et, bien entendu, sur la cheminée de la Tour de l’actuelle mairie. Claude de Talaru avait acquis lui même le Domaine et le Château du Comte de Sacconay.
C’est à cette époque que le village s’installe, autour du mur du « Vingtain ». Sur le mur nord s’élèvent quelques maisons, ainsi qu’en témoignent les actes notariés de l’époque, et notamment l’acte de vente Sacconay Jean Farges daté du 7 novembre 1736 portant sur » … deux petites caves … jouxtant de matin au chateau … de bise au Vingtain du dit Chateau … de vent à l’Eglise de Brindas.
En 1790, le Comité des Citoyens de Brindas s’étonna que l’on ait laissé s’adosser des maisons et des granges le long du Vingtain du côté Ouest et exige des propriétaires de prouver leurs droits :
« Aujourd’hui, 7 août 1790, an IV de la liberté … Le procureur de la commune requérant que Etienne Benoit le jeune, ayant fait construire une batisse devant le Vingtain des murs de la communauté de Brindas, côté du soir … et que le dit. .. etc … requiert que le dit Benoit procure les titres en vertu de quoi il prend appuyage et construction de batisse sur le dit mur du Vingtain … «
En 1790, une description des restes du château nous est faite par la Municipalité qui le visite le 12 avril 1790.
Même s’ils renient toute trace du passé, les révolutionnaires restent fidèles à la tradition et c’est autour du Vingtain qu’ils cherchent à faire ériger la Maison Commune.
On peut supposer que la configuration qui nous est donnée par le Cadastre de 1824, premier cadastre dressé dans la commune, est pratiquement celle qui a subsisté pendant de très nombreuses années.
La place de l’église, de petites dimensions, se trouvait enserrée entre le Château, l’Eglise et le Vingtain.
Mais cette place, dont notre future ruelle est partie intégrante, fut, pendant des siècles, le cœur historique de la communauté d’habitants : assistance aux offices religieux, réunions au sortir des Vêpres ou au son de la cloche; joies et soucis se partagent autour de l’église ou de son cimetière, qui la borde alors. Le cimetière de Brindas en effet, primitivement au cœur du village et bordant l’actuelle ruelle du Vingtain, fut déplacé en vertu d’une loi impériale de 1804 ordonnant le transfert de tous les cimetières hors des agglomérations et au nord des communes. Notre vieux cimetière était pourtant alors riche en souvenirs : « bien clos et bien tenu » si l’on en croit l’affirmation de Gaspard Desverney, curé d’Orliénas et Archiprêtre de Mornant, à la suite d’une visite de l’Eglise de Saint Blaise le 1er juillet 1733. Malgré sa bonne tenue et sa bonne protection, il n’en est pas moins témoin de drames et, à la suite de la découverte macabre du bras d’un « chauffeur » (1) mutilé, abandonné au milieu du cimetière, les riverains, saisis de frayeur, font murer leurs fenêtres !
Rappelé à l’ordre par le sous-préfet en 1826, et par ordonnance Royale du 23 avril 1827, la commune doit s’exécuter et … déplacer son cimetière le long du chemin qui depuis sera nommé le « chemin de la mort » au Guillermy. En 1841 seulement, le conseil municipal vote l’aliénation du terrain qui est vendu aux enchères publiques à la bougie éteinte par Maitre Perrier, notaire à Vaugneray le 19 septembre 1842. L’adjudicataire, Claude Rivière, dernier enchérisseur, s’approprie ainsi pour 700 F un terrain de « 2 ares, nonante huit centiares » au cœur du village.
C’est à cette époque que les transformations les plus importantes se réalisent. Considérant que l’église paroissiale est devenue trop petite pour le nombre de fidèles, on décide de l’agrandir. L’extension sur le sud se heurtant à la Serve et aux « Terreaux », celle à l’est au Vingtain et au château, à l’ouest aux maisons et hangars adossés, c’est en sacrifiant les maisons au nord que l’on décide l’agrandissement (voir JM Chevat, l’Araire n° 40, Avril 81).
Les premiers plans sont dressés en 1855, visés par l’Archeveché. Les expropriations, travaux, démolitions et transformations dureront jusqu’en 1860, date où sera inaugurée avec faste la nouvelle église, cœur du village, telle qu’on la connaît aujourd’hui, après avoir réuni les deux places – de l’église primitive et la place publique.
(1) On nommait « Chauffeurs du Lyonnais » les membres d’une bande de brigands qui terrorisait la région, brûlant les pieds de leurs victimes pour leur faire avouer leurs cachettes
On décide alors d’ouvrir une ruelle pour assurer la circulation autour de l’Eglise. En 1871, la décision est prise et en 1875 le Conseil Municipal indemnise le Sieur Murat » … pour le hangar nécessaire … » qu’il convient de démolir.
La ruelle est percée, la voie de communication est ouverte. Les querelles ne font que commencer! En effet, les esprits observateurs ont pu remarquer la présence, en plein milieu de la ruelle, d’une placette de quelques 4m2 dans laquelle on peut admirer la présence d’un très joli puits à eau claire, déjà décrit en 1834 comme destiné à un triple usage :
- un tiers de l’eau revenant au public
- un tiers au cimetière
- un tiers au propriétaire de la maison mitoyenne.
La bonne entente règne jusqu’à la fin du siècle, l’entretien et la réparation du puits se faisant même par souscription publique volontaire, comme en 1851. La disparition du cimetière ayant entrainé la perte de tout avantage d’un tiers des « ayant droit », la propriété de cette place devient alors l’enjeu de procès et querelles qui ne manquent pas de cocasserie. Le Propriétaire, Catherin Declérieux, construit, de son propre chef, le mur et l’escalier que l’on connait aujourd’hui. La commune n’entend pas se laisser ainsi dépouiller de son droit de puisage. Elle nomme immédiatement un expert, que le sort – ou l’esprit de Guignol – fait s’appeler Monsieur Curieux ! Monsieur Curieux fait son rapport qui permet en 1883 au Tribunal de débouter la Commune en première instance. Celle-ci ne s’avouant pas vaincue, fait appel, et situation à la fois remarquable et touchante, les frais d’appel sont payés par … les conseillers municipaux!
Entre temps, le plaignant décède. Ce sont ses héritiers qui deviennent définitivement propriétaires de la place (1885). Le bon sens n’avait pas permis le morcellement de ces quelques centiares désormais « Propriété Privée ».
Les urbanistes modernes sont persuadés avoir découvert l’habitat idéal avec la création de « Zones d ‘aménagement concerté ». Ne sont-ils pas, en réalité, devancés depuis longtemps dans nos villages., par le bon sens populaire ?
Notre petite ruelle en effet, à peine créée, vit d’une intense activité. Outre les maisons d’habitation ouvertes sur la ruelle, dont celle de Declérieux, déjà nommé, s’y regroupent une zone artisanale et une zone commerciale, le tout sur quelques centiares !
Si les riverains de la ruelle se livrent à des activités industrieuses, le boulanger Murat, le maréchal ferrant Rozard et le menuisier Declérieux n’écartent pas pour autant les bonnes relations de voisinage, tous trois devenus inséparables, comme le prouvent les trois noms toujours associés pour les cérémonies, témoignages ou signatures officielles.
Mais la plus haute en couleur est l’activité commerciale de la ruelle. Plus la rue est petite, plus l’animation y est grande ! Certains se souviennent bien sûr de l’Epicerie-commerce de bois de la ruette de l’obéance encore en service il y a une dizaine d’années. Dans celle du Vingtain, c’est un commerce ‘polyvalent » qui l’anime à la fin du XIXe siècle !! Quelques anciens se souviennent d’ailleurs, et peuvent évoquer encore aujourd’hui, la sympathique ambiance qui règne dans le Bourg, grâce au magasin de la Mère-Geay. Outre les éléments indispensables, depuis les bonbons que viennent chercher les « gones » à la sortie de l’école, jusqu’aux étoffes et tissus, on y trouve en sus tous les objets curieux ou insolites ainsi que toutes sortes de vieilleries. Cette épicerie-bazar-antiquaire, véritable Capharnaüm, est le lieu de rencontre du « tout Brindas » malgré le surnom – nous sommes persuadés injustifié – de chez la « Marie tape à l’oeil ! » donné par quelques irrévérencieux.
Les années s’écoulent ensuite lentement, avec leurs joies et leurs peines. La Grande guerre apporte à notre place le nom de Place de Verdun. Pendant l’occupation nazie, plusieurs caves, aménagées dans le Vingtain, servent de refuge à ceux qui refusent de se soumettre l’occupant.
Inaccessible à ce nouveau Dieu qu’est l’automobile, la ruelle perd un peu, par la suite, de son animation. Piétonne, ne redeviendra-t-elle pas, demain, un lieu de promenade tranquille et pittoresque ?