par Gaston Bensan (1982)
Cette rubrique est une retranscription de l’ouvrage « Chronique Brindasienne », édité en 1982 par l’association du Vieux Brindas. Certaines des recherches proposées ici ont pu faire l’objet d’une mise-à-jour par des travaux plus récents. N’hésitez pas à compléter votre lecture par d’autres articles sur le site du Vieux Brindas.
La présentation dans une vitrine de l’exposition 1981 organisée par le « Vieux Brindas », au milieu de livres rares tels le registre paroissial datant de 1636, une bible de 1580 éditée à Lyon ou le journal d’un fermier de la Gabelle de 1595, d’un modeste livre de comptes du boulanger brindasien Jean-Marie MURAT avait de quoi intriguer.
Pourtant, sous une apparence insignifiante, ce manuscrit est un précieux document et il constitue une « mémoire » de la vie quotidienne du village de 187.3 à 1890 et est donc un véritable livre d’histoire locale :
Nous remercions, Mr et Mme Pierre MURAT, les descendants du boulanger, d’avoir su assurer la conservation de ce document, de nous l’avoir confié pour le compulser cent ans après.
Le livre comporte 380 pages numérotées. Comme le pain était l’aliment principal et la boulangerie le lieu de rencontre le plus fréquenté, le livre a « enregistré » des informations précises.
Le répertoire, d’une cursive appliquée, est déjà d’un grand intérêt. Il nous offre une liste d’une centaine de familles clientes avec des patronymes que l’on retrouve encore de nos jours à Brindas : Marignier, Chazottier, Boyrivent, Brun, Collomb et d’autres qui ont disparu de la commune après une présence importante.
Le livre permet de dresser une liste des artisans et des commerçants de l’époque :
- maçons : Boyrivent, Cartaud, Gouny
- menuisier : Declérieux
- tailleurs : Morel, Royer
- blanchisseur : Reymond
- tonnelier : Gay
- bourrelier : Gros
- charron : Gauthier
- cafetier : Chirat
- buraliste : Roffe
- et même le cantonnier Pelisson.
Les fournitures et les prix
Les services rendus à la population par le boulanger
étaient variés.
Le pain d’abord. Il se vendait à la livre. Pain blanc, pain bis. La miche, la petite miche.
Ce n’est que plus tard que viendront la baguette, la flûte, la couronne.
Les prix 0,30 à 0,40 le kilo. Les tarifs étaient règlementés. Les variations fréquentes parfois tous les mois. Notons en 1875 le prix le plus bas : 0,38 et la pointe la plus haute 0,43 en 1880 pour revenir à 0,40 en 1882.
M. MURAT fournissait aussi la farine, ronde ou première, le levain, le charbon de bois en deux mesures, le bichet à 1,20 et la bichette à 0,60.
À l’occasion, il pouvait joindre au pain du lard et du saucisson, probablement aux gens de passage.
Une grande partie de la population faisait son pain. Certaines le cuisaient elles-mêmes dans leur four. Beaucoup l’apportaient à cuire, à façon, ainsi que les pités et les tourtes.
L’achat de pain et à plus forte raison la cuisson, ne se faisait pas quotidiennement. L’approvisionnement se faisait tous les deux, trois jours et parfois un jour par semaine pour les plus éloignés du bourg.
La vente à crédit
On peut affirmer qu’il n’y avait pas d’exception à cette règle car toutes les fournitures se faisaient à crédit et étaient soigneusement notées sur la page affectée à chaque client.
Les paiements étaient très espacés, le plus souvent de toutes petites sommes à valoir sur un dû plus important. Rares étaient les acomptes atteignant 100 francs et plus rares encore le solde d’un compte en totalité. L’argent circulait peu. Les versements dépendaient des rentrées. L’aisance n’était pas grande.
On remarque de nombreux paiements en nature
- une bareille de vin estimée à 50 frs.
- une feuillette de vin à 35 frs.
- un règlement en marchandises pour 140 frs.
- un paiement par un tiers, ainsi pour un veloutiers
la mention « Payé pour son compte 20 frs,
par M. le Curé ». - une fourniture par le tailleur.
Non, l’argent ne circulait pas beaucoup. Le troc était chose courante. Témoins, les comptes du maître-maçon Gouny ou du cafetier Chirat ou d’autres qui employaient de la main d’œuvre.
Le pain fournit à leurs ouvriers était inscrit à leur propre compte ou ils s’en portaient garants. Même dans ces cas, les règlements ne se faisaient pas ponctuellement et étaient fractionnés et faits par billets à ordre à six neuf mois, voire un an d’échéance.
Le fait devait être fréquent, car on voit dans la page de garde du livre les formules modèles du billet à ordre et de la traite.
Mieux encore ! On voit un compte qui se gonfle au long de cinq années : 348 frs en 1873, 558 en 1874, 741 en 1875, 772 en 1876, 857 en 1877 est suivi de la mention « plus argent prêté 150 francs ». Brave M. MURAT !
Les abonnements
Un système nous surprend. On trouve à diverses reprises la mention « Abonnement ». Il ne nous est pas possible de dire si celle-ci se rapporte à une fourniture régulière de pain ou de simple cuisage. Peut-être des deux services.
Nous connaissons simplement le tarif annuel fait à un client : 8 frs en 1868 et 1869 ; 10 frs en 1870, 11 frs en 1871, 13,80 en 1872 et 17,60 en 1873.
On trouve ailleurs deux listes d’abonnés pour les périodes de 1876 à 1877, 1877 à 1878, 1878 à 1879.
Les prix sont différents et s’échelonnent de 8, 15, 18 , 20, 25 et 30 francs, ce qui laisserait supposer un tarif variant avec le temps mais aussi avec la quantité.
Les fagots de ceps
M. MURAT recevait aussi les paiements à valoir faits en fagots de ceps. Un échange de services entre le boulanger et les vignerons, alors nombreux dans le village.
Les prix des fagots de ceps : 17, 18, 20 francs en 1877 et 1878, 29 francs en 1881.
Chaque fois le tarif est donné pour 105 fagots. Pourquoi 105 ? Qui nous dira à quoi correspond ce qui semble être une mesure de Brindas. Nous arrêtons là notre examen de ce précieux document.
Nous n’avons pas épuisés tous les renseignements qu’il contient. Un travail plus minutieux mais plus long permettrait d’intéressantes statistiques et en particulier la possibilité de déterminer d’une façon précise la consommation moyenne de pain par famille et par personne.
En tenant ses comptes, le boulanger de Brindas ne se doutait pas qu’il laisserait un manuscrit de grand intérêt.
En feuilletant ses pages, nous avons fait la rencontre d’un brave homme.
Jean-Marie MURAT né en 1833 à Lentilly a été pendant des décennies, avec dévouement et générosité, au service de la population brindasienne.
C’est à lui que celle-ci a fait appel, à un moment difficile de la vie communale pour assurer la charge de Maire en 1907, au soir de sa vie.