Par Jean-Marc Chevat [1984]
Cette rubrique est une retranscription de l’ouvrage « Chronique Brindasienne », édité en 1984 par l’association du Vieux Brindas. Certaines des recherches proposées ici ont pu faire l’objet d’une mise-à-jour par des travaux plus récents. N’hésitez pas à compléter votre lecture par d’autres articles sur le site du Vieux Brindas.
En voyant apposer la plaque « Ruette de l’Obéance » il y a quelques mois [1984] sur les murs de ce passage, certains se sont sûrement demandés les raisons de cette appellation curieuse. Malgré l’animation qui y règne, on ne peut en effet parler ni d’impasse, ni de rue, compte tenu de ses dimensions plus que modestes (1m de large sur 30m de long environ). Seul le nom de ruelle pourrait correspondre réellement aux dimensions. Cependant, le mot de ruelle n’apparaît, pour désigner une voie de passage, qu’au XVIIe siècle et, sur les documents brindasiens antérieurs à cette époque, et même jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, c’est sous le nom (non reconnu d’ailleurs par la langue française) de ruette que l’on voit figurer cette voie. C’est un peu par la même évolution sémantique que, dans certaines provinces du nord de la France (Flandres et Artois), on dénomme voyette (petite voie) ce qui n’est pas encore appelé ruelle, terme réservé alors aux corridors intérieurs et aux passages réservés dans les alcôves, notamment sous Louis XIV.
Seule voie de passage Nord / Sud (n’oublions pas que la rue du Vieux Bourg ne date que du XIXe siècle) « d’orient déclinant a Septentrion … » la ruette traverse donc le vieux village accolé au château, le reliant aux places » et aux champs situés plus loin en direction de Grézieu, la plus proche paroisse dont dépendait le hameau de Craponne et tous deux soles de Brindas par l’Yzeron.
C’est donc tout naturellement au cœur du vieux village que s’installeront les bâtiments de l’obéance de Brindas. A Brindas, comme dans les autres paroisses dépendant du Chapitre de Saint-Jean, le Seigneur Obéancier était chargé, jusqu’en 1789 de percevoir la contribution des habitants au nom des chanoines, comtes de Lyon, l’Obéance de Brindas et Messimy dépendant de la dite Église. Deux ensembles de documents permettent de situer avec précision l’emplacement de la maison du Seigneur Obéancier. Le premier date de 1750. Trouvé aux Archives départementales, il relate la visite faite par deux chanoines, comtes de Lyon, Commissaires Députés du Chapitre de la dite Église (1) » … pour la visite, rapport et description de l’Obéance de Brindas ».
Cette description détaillée, permet notamment la localisation géographique de l’immeuble. Le second document est le rapport, établi le 6 octobre 1790 à la suite de la visite des biens domaniaux par la municipalité de Brindas, accompagnant Claude Marignier, Procureur de la commune en date du 12 avril 1790. Il est complété par l’acte d’estimation par expert du 17 Messidor an IV de la République (2). Les deux descriptions spnt identiques et l’on peut retrouver, malgré les multiples transformations et mutations, les murs qui ont abrité des activités diverses, telles que plusieurs générations de tailleurs d’habits, le nom des derniers figurant encore sur une photographie datée de 1906, pour arriver à celle de l’officine de pharmacie d’aujourd’hui [1984], créée en 1971.
La maison de la Dîme était donc bien là, et au moins depuis 1750. La présence du Seigneur Obéancier sur les terres de Brindas et Messimy était, elle, établie depuis quatre siècles : les documents qui nous renseignent sont nombreux, dont l’un des premiers, daté de 1385 et condamnant un certain Romain «… à payer au Seigneur Obéancier un agneau et un petit obole…».
À côté de l’Obéance, la grange qui lui était accolée au nord date de la même époque. On en retrouve également une description dans un acte privé daté du 18 janvier 1744 (3). A ce jour d’autres documents nous permettent de remonter dans le temps, grâce à l’obligeance de plusieurs familles. C’est ainsi que l’histoire de la maison située au n° 4 (ou l’on peut voir une belle cheminée directoire) devrait pouvoir être reconstituée facilement.
(1) A.D.R . 10 G 206 U
(2) Voir page 32 .
(3) D.P .V.B._
Territoire des ruettes
Au numéro 5, le mur principal, à l’Ouest, laisse apparaître sous son enduit une pierre gravée « 1629′ ; s’agit-il d’une date de construction ou bien d’une pierre de récupération de la destruction du Château, dont l’Abbé Perdriel écrit qu’il fut démoli et reconstruit plusieurs fois ? (voir Chroniques Brindasiennes, Tome 1, 1982)
Quelle peut être d’autre part la signification des trois lettres M.A.C. gravées sous cette date ? Le mystère est entier. Cette maison, ferme type des Monts du Lyonnais, avec sa cour ouverte au levant, sur le plan d’une « villa » romaine, était le siège, il y a quelque dizaines d’années, d’une épicerie et d’un commerce de bois, peut-être héritage d’un ancien « Chapy » (sur les documents de 1750, on retrouve assez fréquemment le terme de Chapy, qui pourrait désigner un bûcher ou une réserve de bois – latin vulg. capputere, menuiserie du bois) signalé sur les anciens documents d’arpentage des XVIIe et XVIIIe. Tout le territoire des ruettes appartenait, aux XVe et XVIe siècle à Monsieur de Bletenard, puis cédé, à la fin du XVIIIe siècle à René Louis Neyrin, chez qui, les laboureurs de Brindas se sont réunis pour dresser, avant l’heure, une sorte de cahier de doléances. L’histoire de ce territoire se précise donc. La maison située en face de l’Obéance, au numéro 1, appartenait, en 1827, à Jacques Chazottier, et le presbytère lui-même a été acheté par le curé Claude Brazier en 1714. De tout temps la ruette fut une voie de passage.
Paradoxalement ce fut aussi, à l’époque révolutionnaire, une véritable « frontière » puisqu’elle séparait les biens réquisitionnées comme appartenant à l’Eglise (l’Obéance et ses dépendances bien National saisi le 12 avril 1789 et adjugé par la suite à François Boyrivent pour la somme de 2400 livres), des biens non réquisitionnés, comme le presbytère actuel qui abritait jusqu’en 1836 les bureaux de la municipalité et l’école. Ce territoire des « Ruettes », car c’est ainsi qu’est dénommé le vieux quartier dans les actes du 18e siècle était en réalité un dédale de voies, passages et traverses, resté intact jusqu’à nos jours [1984], ou tout au moins Jusqu’en 1824, puisque l’on peut en retrouver le tracé sur les cadastres successifs de 1824 et même, partiellement, de 1937. Les seules modifications ont été apportées récemment [1984]. la construction de Café Tabac, par le maire de l’époque, M. Escoffier, date du début de ce siècle. L’immeuble où siège aujourd’hui [1984] une agence immobilière fut construit dans les années 60 seulement sur un terrain jouxtant le Café alors Charcuterie, par une cour qui aurait abrité au début du siècle, les abattoirs de Brindas..
Cœur du vieux village de Brindas, le territoire des Ruettes était donc composé de masures érigées à l’ombre et sous la protection du château. Axe principal, il y régnait une grande animation, surtout si l’on considère, en se reportant aux documents de 1750, que la ruette était prolongée jusqu’au chemin de la Bernade, alors appelé Ruette du Gourd. Âme toujours vivante de notre bourg, petite voie piétonnière à l’échelle de notre village, la ruette a été récemment [1984] restaurée et repavée avec beaucoup de goût.
Quelques aménagements restent peut-être à faire ; mais si nous savons la protéger des outrages de la circulation cyclomotorisée et la préserver des pollutions animales dites « naturelles », nous aurons sauvegardé, au centre de notre vieux bourg, le témoignage d’une vie passée simple et humble que beaucoup de nos voisins nous envieront.
Procès-verbal d’estimation par experts